ORDONNANCES COVID-19 : DOIT-ON ENCORE PAYER LE LOYER DU LOCAL COMMERCIAL ?
Le COVID-19 et le confinement auquel chaque Français est astreint, n’est pas sans conséquence sur la vie des entreprises, notamment celles des restaurants, cafés, brasseries, puisque dans l’impossibilité, sauf adaptation nécessaire de leur activité, de pouvoir exercer.
Le chef d’entreprise ne sait que trop bien que même en cas de fermeture, les charges incompressibles continuent de courir.
Le gouvernement, par différents ordonnances a souhaité limiter au maximum les effets néfastes des fermetures d’établissement.
Deux ordonnances en faveur des entreprises doivent être recensées :
- La première du 25 mars 2020, n°2020-316, relative au paiement des loyers, des factures d’eau de gaz et d‘électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19
- La seconde, du même jour, n°2020-317, portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation
La simple lecture des titres de ces ordonnances laisserait à penser qu’une entreprise dans la tourmente peut s’affranchir du paiement de ses loyers, et c’est une idée communément relayée.
Nombre de locataires commerciaux ont alors cru pouvoir sinon cesser tout règlement de loyer, à tout le moins solliciter un « geste » de la part de leur bailleur, lequel aurait été légalement imposé.
La lecture attentive de l’ordonnance précitée révèle que tel n’est manifestement pas le cas.
L’article 1er de l’ordonnance n°2020-316 relative au paiement des loyers prévoit que pouvoir bénéficier des dispositions de cette ordonnance, encore faut-il pouvoir être susceptible d’être éligible du fonds de solidarité créé par l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020.
Suivant ce dispositif et suivant les décrets d’application n°2020-371 du 30 mars 2020 et n°2020-378 du 31 mars 2020, seules sont éligibles les personnes physiques ou morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique remplissant synthétiquement les conditions suivantes :
- Avoir débuté son activité avant le 1er février 2020.
- Ne pas avoir déposé de déclaration de cessation des paiements au 1er mars 2020.
- Avoir un effectif inférieur ou égal à 10 salariés.
- Avoir un chiffre d’affaires pour le dernier exercice clos de moins d’un million d’euros hors taxes.
- Avoir un bénéfice imposable, augmenté des sommes versées au dirigeant, inférieur à 60 000 € au titre du dernier exercice clos.
- Ne pas être titulaire d’un contrat de travail pour les personnes physiques, et pour les personnes morales, que leur dirigeant majoritaire ne soit pas titulaire d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse, et en outre, ne pas avoir bénéficié d’indemnités journalières pour la période courant du 1er mars 2020 au 31 mars 2020, pour un montant supérieur à 800 €.
Il convient en outre de :
- Avoir fait l’objet d’une interdiction d’accueil au public entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020.
OU
- Avoir subi une baisse de chiffre d’affaires de 50 % (initialement 70 %) durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 :
- • Par rapport à la même période de l’année précédente.
- • Si l’entreprise a été créée après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020.
L’on remarquera que nonobstant la grave crise sanitaire que traverse la France, et compte tenu des critères d’éligibilité imposés, nombres d’entreprises sont de plano exclues des dispositifs de protection instaurées.
Seront par exemples exclues les associations qui n’ont pas d’activité économique, les entreprises comptant au moins 11 salariés, celles réalisant un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros HT, ou encore celles générant un bénéfice, rémunération du gérant incluse, de moins de 60 000 €, et les structures dont le gérant est également titulaire d’un contrat de travail.
Les entreprises faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire, sont également éligibles à ce dispositif (le lecteur avisé relèvera qu’existe donc une contradiction entre les différents textes, que l’on peut légitimement imputer à l’urgence entourant leur rédaction).
Synthétiquement, l’on peut en déduire qu’une protection a été instituée certes, mais certainement pas pour tout le monde.
Toutefois, et après avoir imposé toute une série de conditions d’éligibilité, le décret n°2020-378 du 31 mars 2020 prévoit qu’il suffit de produire une déclaration sur l’honneur attestant du respect des conditions textuellement imposées, ce qui démontre que l’auto-attestation est décidément très en vogue.
Quoi qu’il en soit, quel est l’objet de la protection ?
Force est de constater qu’il existe une dissymétrie entre ce que laissait entendre le gouvernement, et le dispositif effectivement mis en place.
En effet, l’ordonnance n° 2020-316 laisse planer le suspense jusqu’à son article 4 pour permettre enfin de découvrir la teneur de la protection mise en place, en disposant :
« Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».
Il s’infère de ce texte et contrairement à l’idée qui s’est communément répandue dans l’esprit du public, qu’aucune suspension automatique du paiement des loyers n’a été instaurée.
En revanche, pour les loyers échus entre le 12 mars 2020 et la fin de la crise sanitaire, aucune sanction résultant du défaut de paiement du loyer n’est susceptible d’être encourue.
La clause résolutoire ne sera pas acquise en conséquence d’un défaut de paiement du loyer.
Aucune astreinte ou pénalité financière ne sera prononcée.
La caution solidaire ne pourra être actionnée, et aucune clause pénale ne pourra être mise en œuvre.
Ne devant pas distinguer où la loi ne le fait pas, et ne devant pas exclure là où la loi n’exclut pas, il convient d’en déduire que le loyer impayé durant la période de crise sanitaire ne pourra fonder une action en résiliation du bail.
Le texte n’exclut cependant aucunement l’exigibilité du loyer, et partant, la possibilité pour le bailleur d’obtenir la condamnation de son locataire à le payer.
Une fois porteur d’un titre exécutoire, le bailleur pourra parfaitement entreprendre les mesures d’exécution appropriées.
Par conséquent, aucune suspension du paiement des loyers n’ayant été instaurée, l’on ne saurait que trop conseiller au locataire commercial de régler ce qu’il doit, et au bailleur de se montrer conciliant compte tenu du contexte sanitaire actuel.
Prenez-soin de vous,
James TURNER, Membre Associé du cabinet PMT Avocats


